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dimanche 29 décembre 2013

samedi 28 décembre 2013

vendredi 27 décembre 2013

"Bien à l’abri au sein du troupeau, on marche dans les rues des villes, pour aller ensemble au travail, aux mangeoires, aux plaisirs."


lu et copié/collé sur Oeuvres ouvertes

extrait des Conversations avec Kafka de Gustav Janouch
 
Je tirai de la poche de ma veste le livre anglais, le posai sur le couvre-lit et racontai ma dernière conversation avecc Bachrach. Quand je dis que le livre de Garnett copiait la méthode de La Métamorphose, Kafka eut un sourire las et dit, avec un petit geste de refus : "Mais non. Cela ne vient pas de moi. Cela vient de l’époque. C’est là que nous avons copié l’un et l’autre. L’animal nous est plus proche que l’homme. Ce sont les barreaux. La parenté avec l’animal est plus facile qu’avec les hommes."
 (...)
"Chacun vit derrière des barreaux qu’il transporte avec lui. Voilà pourquoi tant de livres parlent aujourd’hui d’animaux. Cela exprime la nostalgie d’une vie libre, naturelle. Mais la vie naturelle, pour les hommes, c’est la vie d’homme. Seulement on ne le voit pas. On ne veut pas le voir. L’existence humaine est trop pénible, c’est pourquoi on veut s’en débarrasser, au moins, par l’imagination."
Je poursuivis la cheminement de sa pensée en disant :
"C’est un mouvement analogue à celui qui précéda la Révolution française. On parlait alors de retour à la nature.

— Oui, répondit Kafka. Mais aujourd’hui on va plus loin. On ne se contente pas d’en parler, on le fait. On retourne à l’animal. C’est beaucoup plus simple que l’existence humaine. Bien à l’abri au sein du troupeau, on marche dans les rues des villes, pour aller ensemble au travail, aux mangeoires, aux plaisirs. C’est une vie précisément délimitée, comme au bureau. Il n’y a plus de miracles, il n’y a plus que des modes d’emploi, des formulaires et des règlements. On a peur de la liberté et de la responsabilité. C’est pourquoi l’on préfère étouffer derrière les barreaux qu’on a soi-même bricolés."

jeudi 26 décembre 2013

mercredi 25 décembre 2013

"dégluties par le temps"

Album Marie-Hélène Lafon

"Les maisons effondrées sont avalées par le sol, mangées d'arbres, dégluties par le temps, rendues au vide."

mardi 24 décembre 2013

dimanche 22 décembre 2013

on les avait bouclés,

oui, pour la traçabilité,
puis engouffrés dans l'Express, 
on avait aussi chargé la petite remorque, quarante d'un coup, heureusement que ça avait repris pour l'Espagne, personne qui en voulait de l'agneau, ah ! ça, le soir pour bêler, ça bêlerait, chaque mère à la recherche du sien, qui pour aimer ça, on faisait avec, joyeux Noël

mercredi 18 décembre 2013

dimanche 15 décembre 2013

La ronde (3) : regard(s)


Pour cette ronde de décembre, autour du mot "Regard(s)", j'accueille
 Dominique Autrou - la distance au personnage - tandis que je suis chez  - mine de rien - elle-même chez  - un promeneur - qui est chez - le blog de mesesquisses - lui-même chez - Voir et le dire mais comment - chez lignes bleues - loin de la route sûre - chez - quotiriens -chez  - Gilbert Pinna, le blog graphique - chez Dominique Autrou... à qui je laisse la plume


Cette ronde est pour moi l’occasion de mettre en ligne un curieux document. Je vais essayer, à son propos, d’être court et précis.
Un ami reçoit à la fin de l’été dernier un mail anonyme qu’il survole rapidement. Tout de même intrigué, il me le confie avec pour mission d’y voir plus clair, et pour ce faire d’employer tous les moyens que je jugerai utiles. En un mot, il me demande un regard neuf sur ce texte disparate comme une ébauche ; une ébauche de texte émaillé de photos, apparemment inachevé et à mon sens imprégné de doutes.
Je l’ai lu et relu, nous avons confronté nos perplexités respectives et finalement nous sommes convenus de le publier pour, qui sait, lui rendre sa liberté.

_____________________________________

--mailto : undisclosed-recipients

« Si vous recevez ce mail par erreur, veuillez ne pas en tenir compte. Toutefois, s’il vous prend l’idée de le lire, gardez s’il-vous plaît en mémoire qu’il n’était pas dans mon intention de l’expédier. Le programme de messagerie m’est utile et surtout commode pour écrire ; pour le reste, ce mail aurait dû partir en fumées. »
Lubiargues, le 10 nov 2013
 
Cette histoire était allée, à l’origine, avec un mélange de personnages de la sorte:

_________________________________
Femme de l’éleveur de chevaux – le pianiste – le maitre d’hôtel – la vétérinaire – le notaire (faire tourner la convoitise dans ce sens-là, avec retour à la femme de l’éleveur)
// 1970 ?
« Ce maquillage flamboyant, d’une vulgarité conventionnelle, avait pour avantage de lui faire comme une clôture, dans le sens des nonnes cloitrées. Mais c’était une arme à double tranchant ; ils étaient peu parmi les hommes de son milieu à oser lui adresser ne serait-ce que la parole (ce milieu qui par ailleurs parlait naturellement peu, mais regardait beaucoup) »
_________________________________ (éléments abandonnés)

C’était se moquer de la force des images. Cette invention ne serait pas « allée » bien loin.

La distance intime – texte
(travail en cours - les annotations matérialisées par des // sont des indications de correction ou des mémos de réécriture, en aucun cas des éléments narratifs)


 // laisser les phrases se finir, mais les relire dans le silence en écoutant sa glotte, dans l’attente d’une résonnance, peut-être


Les circonstances de mon départ pour l’Atlantique Nord ont pu paraître obscures, étranges, incompréhensibles pour le moins. Il est peut-être temps de lever le voile, d’oser jeter un œil sur quelques évènements a priori anodins pouvant apporter des éléments de réponse, lorsque l’on y regarde de plus près.


En début d’année, le cahier que j’avais pris l’habitude de tenir depuis bientôt dix ans, sous trois formes successives, certes, mais de façon presque inchangée sur le fond, et qui se résumait en une approximation entre des mots – un texte – et des photos — ces dernières, sauf exception toujours maniées : colorisées, découpées, recollées, même si elles n’en ont pas toutes besoin, par pur plaisir (surtout pas par envie de travestissement) — se trouve (peu importe la concordance des temps, celui-ci sera bientôt, on le verra, aboli par la collision des points de vue) englué dans le risque — j’ose à peine l’écrire —  de l’illustration. Sans aucun doute ce cahier — en tout cas le mien — est l’équivalent d’un avatar mais quand cela serait, concernant le risque par moi-même pointé je partage l’opinion de Flaubert* lorsqu’il écrit / crie son mécontentement, sa fureur lorsqu’il est question d’illustrer Salammbô (l’illustrateur à beau s’appeler Gustave Moreau, le problème n’est pas là):
« Quant aux illustrations, m’offrirait-on cent mille francs, je te jure qu’il n’en paraîtra pas une. (…) Ce n’était guère la peine d’employer tant d’art à laisser tout dans le vague, pour qu’un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. » (à Jules Duplan, Croisset, 24 juin 1862, c’est moi qui souligne) Loin de moi l’idée de me comparer au fameux ermite, quand même, ça faisait un choc, cette lecture ; je n’étais pas loin de me prendre pour mon propre « pignouf ». Bref, il fallait se laver l’esprit, aller voir ailleurs.
(*si besoin, cliquer sur les années pour ouvrir la correspondance)
// Ici, détails du voyage au Havre – revoir les horaires des chemins de fer – la lumière de fin de journée après la pluie -


Le musée d’art moderne André Malraux du Havre (désormais appelé MuMa, façon moderne en effet) est l’endroit au monde où je me sens le mieux.  Juste, installé sur une banquette, mains posées dessus et col ouvert, face à l’entrée du port, à l’abri des verrières et de leurs longues et fluides persiennes parallèles aux cargos, dans l’incomparable silence bruissant des pas perdus. Inutile, d’habitude,  d’aller regarder les Boudin (Eugène) qui sont comme une délicate enfilade d’autant de nuages. Le ciel havrais suffit généralement à les suggérer. Mais là j’aurais mieux fait de m’en tenir à ces petits tableaux impressionnistes ; j’ai fait une erreur, je l’ai senti tout de suite. Pourtant, je savais qu’il est difficile de ne pas s’arrêter devant ce « portrait de l’École française, vers 1700 » :

Or, cette fois-ci les éléments du portrait me sautent à la figure. Un impérieux besoin de rapprochement me titille. Le nez, les paupières, la bouche, tout me rappelle éminemment quelqu’une. Mais qui ? Justement, elles sont plusieurs. Là, je reconnais les sourcils de la femme d’à-côté, ici la bouche de cette belle twitteuse dont je ne connais pourtant que les mots,  le nez d’une ancienne collègue atrabilaire, les paupières de la femme du pâtissier (je ne lui ai jamais demandé si elle avait du sang bleu, par appréhension du vide). Seul, le lobe de l’oreille me laisse deux secondes sans modèle (parce qu’est absente la boucle argentée qui pend à celui de la dentiste du centre-ville, et dont elle ne s’est jamais dépourvue en public depuis quatre ans et demi).
Bref, malgré mes efforts pour en rire, un trop-plein d’informations m’oppresse, tant et si bien que je crois rendre gorge sur-le-champ. Auparavant j’ai le temps de repenser à Flaubert  (qui lui, en l’occurrence, devait être furax) :
« Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L’idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu’une femme écrite fait rêver à mille femmes. Donc ceci étant une question d’esthétique, je refuse formellement toute espèce d’illustration. » (à Jules Duplan, Croisset, 12 juin 1862).
Censément, je suis face à une contradiction. Premier court-circuit. Dans mon rapprochement à la toile, je n’ai jamais dépassé la distance sociale (un mètre vingt ?) je me rhabille et je sors.

 // Ici, impressions du trajet vers le Cotentin, au plus près de la côte (« Doville », « Balbec » and Co enfin bref, plutôt leurs nuits techno désormais), et puis l’arrivée à Granville par un matin d’été, l’Hôtel des Bains (néon bleu, texte vertical sauf le « des » horizontal, plus petit, faisant transept étriqué)

Un séjour aux îles Chausey m’apparut plus qu’opportun : désorganisateur, incisif. Rien de moins. Il n’est pas question de décrire maintenant cet exil (très relatif, l’exil : il y a une borne 3G qui regarde toute la Grande-Île, compte tenu de l’affluence malgré tout limitée — trois bateaux par jour à tout casser — elle fournit un débit supérieur à celui que l’on trouve dans les grandes villes) alors on s’en tiendra à dire que, d’une façon générale, la puissance des flux et reflux est un effacement suffisant. Et puis s’entendre parler tout seul sur une plage est une jouissance sans nom, car il n’en restera rien. Absolument rien. Pas d’écho, aucune contrepartie. Gratuité sans commentaires. M’estimai-je liquidé ? Peut-être. Mais surtout cette surprise, sur la route du retour.
// raccourcir — supprimer — ce chapitre dont je n’aurai au final pas / plus besoin ?


 Ça s’est passé au musée Anacréon, sur les hauteurs de Granville. Une exposition temporaire consacrée à Maurice Denis (un « enfant du pays » particulièrement doué qui (s’)illustrera plus tard dans les Côtes-du-Nord, sur la plage de Trestignel) m’y avait été recommandée par un ami bien au fait de ce genre d’évènements. Je déambule donc parmi des christianités sensuelles, vaporeuses et décoratives (ce ne sont pas des gros mots) puis, ayant devant moi tout le temps — spirituel, aussi — qu’il faut, je me dirige vers la collection permanente, de ces bonnes vieilles collections de province qui ravissent l’esprit (en tout cas le mien, bis) par le nombre incroyable de ces inconnus, ou très peu connus, qui échappent ainsi à un oubli total, surtout lorsqu’il est interdit de photographier. Et alors là, tout à trac, vlan :
 Celle-ci m’a bien eu. Un certain Dufresne a signé. La composition m’emballe (et je soupèse) la touche aussi, les couleurs, mais surtout le regard, qui à tout point de vue me hèle au plus profond. Je suis sûr d’avoir déjà été regardé de la sorte, il y a très longtemps et aussi pas plus tard qu’hier. Cette fois-ci c’est le visage dans son entier qui emporte mon souvenir vers un sentiment trop enfoui, je me rapproche au plus près. Il n’est pas dans mes habitudes de frôler inconsidérément les œuvres, au musée ; aujourd’hui c’est l’inverse, la distance intime est retrouvée. Mais pourquoi ce besoin d’intimité ? Et pourquoi cette gêne ? Pour la première fois de ma vie (bis aussi) j’ai honte de prendre une photo. Serait-ce un v(i)ol ? Il n’est en général pas très grave, cet acte-là (la photo, pas le v(i)ol), mais cette fois-ci ma main tremble et je dois faire vite. Il y a pourtant fort peu de garde-chiourmes, et ils (elles) sont bien aimables. Je suis incontestablement ému, il faut je crois, partir. Avec cette photo en bandoulière.

// peu importe le détail du voyage - l’essentiel est de retrouver au plus vite le narrateur dans son arrière-boutique, ses bains, ses bacs, ses ciseaux et ses boîtes à chaussures.

Au retour, fiévreux, j’ai dormi trois jours de suite. Ensuite je me suis remis immédiatement à mon dada car il restait peu de temps, je le pressentais, pour achever le travail d’archiviste que je m’étais promis de tenir coûte que coûte et martel en tête (il a donc fallu prendre un Efferalgan (1 mg). J’étais reparti pour plusieurs semaines de numérisation chronologique comparée (NCC).
J’en étais à l’année 1963 quand la troisième catastrophe m’est tombée sur la tête.
Au début, je ne me suis rendu compte de rien tant la masse de papiers était épaisse, faisant comme un oreiller amortisseur (m’étais-je assoupi ? oui, je devais m’être, sur cette masse, assoupi). Quoi qu’il en soit j’avais le nez sur une photo de famille, j’ai pris la loupe pour y regarder de plus près et puis
Ah
et oui
Merde, il faut que je fasse un agrandissement mais là encore, ces yeux, ce regard, bon sang ce n’est pas possible
Je file dare-dare chercher la carte SD que j’ai laissée (intacte ?) dans l’appareil avec lequel je suis parti en
(pourvu que)
// éviter de s’étendre sur des détails techniques
(vite, des ciseaux)

                          
Il ne m’en faudra pas plus pour stopper ici toute autre forme d’investigation. Plutôt se noyer dans la mer du Nord que dans ces visages inaccessibles, chacun à sa façon racontant une histoire houleuse, triste et inachevée.

Alors je rassemble mes cliques et mes claques et je m’enquiers d’une distance respectable. Pour être parfaitement lucide, j’avalerai trois valium. L’illusion sera parfaite. Ne faiblissons pas.
 
…/…

 
                                                                       …/…

mercredi 11 décembre 2013

une cuisinière à bois multifonctions

chauffe-biberon, chauffe-chaussures, chauffe pelote dans le tiroir du bas, sèche-linge, couveuse pour poussins dans le four entrouvert (feu doux), couveuse pour agneau, four ouvert et caisse sur une chaise.

vendredi 6 décembre 2013

"Les épreuves doivent nous être chères"


Première heure Erri de Luca

                                                                LES ÉPREUVES

     Dans une ancienne histoire écrite dans le Talmud, le grand commentaire hébreu des Saintes Ecritures, on parle de quatre sages qui vont rendre visite à Rabbi Éliézer, malade. Les trois premiers lui rendent hommage en faisant ses louanges et lui disent qu'il est plus précieux à leurs yeux que la pluie, plus que le soleil, plus que leurs parents. Le quatrième, qui s'appelle Akivà, lui dit seulement: « Les épreuves doivent nous être chères. » Rabbi Éliézer demande des explications sur cet étrange hommage et Akivà résume l'histoire de Manassé, roi du royaume de Juda.
     Ces sages Hébreux la connaissaient bien et le jeune disciple put arriver rapidement à ses conclusions. Avant de les divulguer, il convient de rappeler brièvement cette histoire. Durant son règne, Manassé fit les choses les plus horribles, il répandit le sang innocent, il introduisit l'idolâtrie jusque dans le temple de Jérusalem. Et pourtant, c'était le fils d'Ezéchias, un roi pieux qui défendit la religion de ses pères et fut comparé au roi David. Dieu se retourna contre Manassé. Dans le livre des Rois, il est donné un dur avertissement à la ville gouvernée par le successeur impie d'Ezéchias: « Et je raclerai Jérusalem comme on racle une marmite. » Manassé est fait prisonnier par les Assyriens et emmené en captivité à Babylone. Au cours de cette dure période d'emprisonnement, il se repentit, demanda pardon à Dieu et fut écouté. I1 fut rétabli sur le trône de Jérusalem et dès lors se consacra au rétablissement du culte de Dieu. Son règne fut récompensé par une durée exceptionnelle : cinquante-cinq ans.
     Akivà arrive à ses conclusions et explique donc son vœu étrange adressé à Éliézer: « Est-il possible qu'Ezéchias, roi deJuda, ait enseigné la Loi au monde entier et qu'il ne l'ait pas enseignée à son fils Manassé ? Non. Malgré tous ses efforts, malgré toute la peine qu'il s'est donnée, il n'a pas réussi à rendre son fils meilleur. Seules les épreuves y sont parvenues. Cela ne prouve-t-il pas que les épreuves doivent nous être chères ? »
     Par ces mots, Akivà console le maître malade en lui rappelant l'expérience douloureuse de Manassé. Mais il enseigne également quelque chose à ceux qui sont loin de ce chevet : les épreuves, les plus dures et les plus incompréhensibles auxquelles nous sommes tous soumis, doivent trouver leur voie d'accueil chez ceux qui les subissent. La patience de les supporter ne suffit pas, elles doivent aussi nous être chères. Car elles savent mieux enseigner qu'un père. Ezéchias échoua avec son fils, mais l'épreuve de la prison et de l'exil eut un bon résultat sur Manassé. Sa seconde accession au trône fut plus importante que la première, obtenue sans effort, par pur droit héréditaire. Il en va de même aussi dans la vie de tous les jours : une chose obtenue facilement échappe des mains et seul le pénible effort de l'avoir à nouveau lui rend sa valeur. Manassé connut le trône une seconde fois sous le jour nouveau de la restituton et resta ensuite fidèle à ce retour. Dans la langue hébraïque, le repentir, teshuvà, c'est le « retour ».
     Mais lui aussi, comme son père autrefois, n'eut pas de succès avec son fils Àmon, qui devint roi et refit les mêmes erreurs de jeunesse que Manassé. Il tomba dans l'idolâtrie et eut une vie courte : il fut tué après deux ans de règne, lors d'un complot. Son fils Josias lui succéda et il vécut au contraire en suivant fidèlement la loi de Dieu.
     Les histoires de cette monarchie montrent que les pères ne parviennent pas à corriger les fils rebelles, mais aussi que les parents infâmes ne pervertissent pas toujours de bons fils. Les êtres humains ne sont pas capables de déterminer l'avenir, de le conditionner vers le bien ou le mal, pas même dans leur propre famille. En hébreu, Manassé se dit Menashè, un nom propre qui a aussi un sens: « Celui qui fait oublier. » Lui, il fit oublier au peuple le culte de Dieu, mais chaque fils a en lui un bout de ce nom dangereux et qui peut faire oublier le père, dans le bien comme dans le mal. Chaque nouveau-né du monde a un bout de menashè.
     Les maîtres du Talmud inversent carrément le rapport père-fils, en commentant un passage des Écritures relatif à Abraham et à son père Tèrah. Ils disent que le fils transmet ses mérites au père, mais le père ne transmet pas ses mérites au fils. En exergue à cette pensée profonde, ils laissent par écrit une petite phrase d'exemple, une parabole télégraphique: « C'est le fruit qui protège l'arbre. »

jeudi 5 décembre 2013

on le suit un moment,

rouler au pas des bêtes, que faire d'autre, il s'est retourné pour saluer, petit signe d'excuse de la main genre "je fais vite", pas de chien, pourvu que le champ ne soit pas trop loin

lundi 2 décembre 2013

"Nous avons un court instant à passer. Nous sommes ce fugitif émoi en présence des choses. Il serait inutile, déplacé de réclamer. "

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 Pierre Bergounioux Points cardinaux Illustrations de l’auteur (1995)

     Puisque c'est de l’infirmité de notre condition que je parle, de notre finitude et du vaste monde, il me faut dire un mot de l'endroit où il me semble qu'on voit, que l'on peut accepter. Il se trouve au bord occidental de la montagne limousine, sur le plateau de Millevaches. On a dépassé depuis longtemps les derniers hameaux, quelques maisons aux toits d'ardoise enfouies dans les sapinières puis les derniers sapins. On s'avance à travers la bruyère et l'ajonc. Il ne s'est jamais rien passé, ici. Rien ne se passera jamais. Le ciel est d'un bleu cru, acide.  On peut caresser le rude pelage de la planète, son échine de granit. Nul bruit ne trouble le silence. On comprend. C'est dans l'air qu'on respire, la lumière vive, lustrale dont on est baigné. On sait et cela, de surcroît, va de soi. Nous avons un court instant à passer. Nous sommes ce fugitif émoi en présence des choses. Il serait inutile, déplacé de réclamer. C'est là que j'aimerais pouvoir me rendre, me traîner, à la fin. Je verrais le rocher, l'eau qui court dans la bruyère ou seulement la neige, l'hiver. J'aurais, sur l'inclémente litière, non seulement la notion mais la sensation de ce que nous sommes, de notre place exacte, de ce qui nous échoit. Il me paraît simple, facile presque, de s'en accommoder sous le ciel pur, dans le silence inaltérable du plateau, bien plus que dans quelque chambre aux tentures tirées, encombrée de linges, avec de la vaisselle sur des plateaux, d'amers, d'inutiles remèdes et cette oppression, ce désespoir.
     Nous avons perdu la félicité indistincte qu'on voit aux bêtes, aux poissons enchassés dans l'eau cristalline, aux bêtes des bois couleur de feuilles mortes, aux oiseaux ivres d'air. Nous sommes devenus pensifs et, partant, étrangers, frêles, frileux, vulnérables. Il nous faut une table, un toit, du feu, une maison. Nous nous souvenons parfois d'avoir été au monde pleinement, sans états d’âme, d'un très lointain commencement. Je rêve, pour finir, d'une lande ouverte à tous les vents où l'on verrait ce qu'il en est de nous et de tout et d'y être, avant d'avoir été.

dimanche 1 décembre 2013

sauvé !

insémination artificielle, des naissances multiples, minuscule quatrième nourri au compte-goutes, une nuit emmitouflée au chaud sur une chaise près de la cuisinière à bois, et au matin, surprise ! son cœur bat encore... une semaine plus tard, il trottine dans la maison, qui pour le chasser