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lundi 2 décembre 2013

"Nous avons un court instant à passer. Nous sommes ce fugitif émoi en présence des choses. Il serait inutile, déplacé de réclamer. "

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 Pierre Bergounioux Points cardinaux Illustrations de l’auteur (1995)

     Puisque c'est de l’infirmité de notre condition que je parle, de notre finitude et du vaste monde, il me faut dire un mot de l'endroit où il me semble qu'on voit, que l'on peut accepter. Il se trouve au bord occidental de la montagne limousine, sur le plateau de Millevaches. On a dépassé depuis longtemps les derniers hameaux, quelques maisons aux toits d'ardoise enfouies dans les sapinières puis les derniers sapins. On s'avance à travers la bruyère et l'ajonc. Il ne s'est jamais rien passé, ici. Rien ne se passera jamais. Le ciel est d'un bleu cru, acide.  On peut caresser le rude pelage de la planète, son échine de granit. Nul bruit ne trouble le silence. On comprend. C'est dans l'air qu'on respire, la lumière vive, lustrale dont on est baigné. On sait et cela, de surcroît, va de soi. Nous avons un court instant à passer. Nous sommes ce fugitif émoi en présence des choses. Il serait inutile, déplacé de réclamer. C'est là que j'aimerais pouvoir me rendre, me traîner, à la fin. Je verrais le rocher, l'eau qui court dans la bruyère ou seulement la neige, l'hiver. J'aurais, sur l'inclémente litière, non seulement la notion mais la sensation de ce que nous sommes, de notre place exacte, de ce qui nous échoit. Il me paraît simple, facile presque, de s'en accommoder sous le ciel pur, dans le silence inaltérable du plateau, bien plus que dans quelque chambre aux tentures tirées, encombrée de linges, avec de la vaisselle sur des plateaux, d'amers, d'inutiles remèdes et cette oppression, ce désespoir.
     Nous avons perdu la félicité indistincte qu'on voit aux bêtes, aux poissons enchassés dans l'eau cristalline, aux bêtes des bois couleur de feuilles mortes, aux oiseaux ivres d'air. Nous sommes devenus pensifs et, partant, étrangers, frêles, frileux, vulnérables. Il nous faut une table, un toit, du feu, une maison. Nous nous souvenons parfois d'avoir été au monde pleinement, sans états d’âme, d'un très lointain commencement. Je rêve, pour finir, d'une lande ouverte à tous les vents où l'on verrait ce qu'il en est de nous et de tout et d'y être, avant d'avoir été.

3 commentaires:

  1. Rêve de désert d'origine. J'ai suivi ces mots jusqu'à Millevaches...beaucoup de beauté..mais je n'ai pas cru en la félicité. Trop frileuse!

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  2. Oui, mais avec un bon poêle :) et l'acquis de nos mains, de nos êtres, quel bonheur

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  3. Marchons, marchons...sans abreuver les sillons...!

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