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dimanche 3 avril 2016

"Vous allez être abattus, vous y êtes, voyez plutôt l'abattoir..." (2)

Berlin Alexanderplatz Histoire de Franz Biberkopf


Alfred Döblin

Première parution en 1933
Trad. de l'allemand par Olivier Le Lay

 CAR IL EN VA DE L'HOMME COMME DU BÉTAIL ; COMME CELUI-CI MEURT, IL MEURT LUI AUSSI (p 142 et suiv)

 
Mouvements sur le marché aux bestiaux: 1 399 bœufs, 2 700 veaux, 4 654 moutons, 18 864 cochons. Tendances: bœufs de bonne qualité satisfaisant, sinon calme. Veaux satisfaisant, moutons calme, cochons: stable au début, puis plus faible, faible demande sur les cochons gras.

Sur les routes du bétail le vent souffle, il pleut. Des bœufs meuglent, des hommes mènent un grand troupeau cornu et beuglant. Les bêtes regimbent, elles s'arrêtent, elles courent dans la mauvaise direction, les bouviers courent autour d'elles avec des  bâtons. Un taureau saillit une vache au milieu de la mêlée, la vache s'échappe à droite et à gauche, le taureau est après elle, il ne cesse de grimper sur elle de toute sa puissance.

Un grand taureau blanc est mené dans la tuerie. Ici pas vapeur, pas d'enceinte comme pour les petits cochons grouillants. C'est seule que pénètre la bête grande et forte, le taureau, entre ses bouviers par la grande porte. Ouverte devant elle la tuerie sanglante avec les moitiés, les quarts de bêtes appendus, les os débités. Le grand taureau a un large front. On le mène avec des coups et des bâtons devant le boucher. Il lui administre, pour qu'il se tienne tranquille, encore un dernier coup avec le plat de la hache contre une des pattes arrière. Maintenant l'un des bouviers par dessous lui roule un bras autour du cou. La bête ne bouge pas, cède, cède avec une facilité singulière, comme si elle était d'accord et donnait désormais son assentiment, après qu'elle a tout vu et sait : tel est son destin, et elle ne peut rien y faire. Peut-être aussi qu'elle tient  mouvement du bouvier pour une cajolerie, car il a l'air si amical. Elle suit les bras du bouvier qui tirent, courbe la tête sur le côté, la gueule vers le haut.

Mais il est déjà derrière elle, l'assommeur, avec son merlin levé. Ne te retourne pas. Le merlin, soulevé des deux poings par l'homme puissant, est derrière elle, au-dessus d'elle et puis: boum ça tombe. Toute la force musculaire d'un homme puissant comme  un coin de fer dans la nuque. Et à cet instant, le merlin n'est pas relevé, les quatre pattes de la bête se soulèvent brusquement, le corps lourd tout entier paraît s'envoler. Et alors, comme si elle était sans pattes, la bête, le corps lourd, s'effondre lourdement : s'affaisse sur ses pattes rigides et crispées, reste un moment ainsi puis bascule sur le côté. De droite et de gauche le bourreau l'entoure, sa miséricorde lui assène de nouvelles charges anesthésiques contre la tête, contre les tempes, dors, tu ne te réveilleras plus. Puis l'autre à côté de lui ôte le cigare de sa bouche, se mouche, affile son couteau, il est long comme la moitié d'une épée, et s'agenouille derrière la tête de la bête dont les pattes déjà ne se contractent plus. Elle donne des petits coups convulsifs, agite l'arrière-train. Le boucher cherche sur le sol, il ne pose pas le couteau, il demande la cuvette pour le sang. Le sang circule encore en dedans tranquillement, peu ébranlé par les secousses d'un cœur puissant. La moelle épinière est certes écrasée mais le sang coule encore tranquille dans les veines, les poumons respirent, les tripes remuent. Maintenant on va poser le couteau et le sang va se précipiter au-dehors, je me ne représente déjà la chose, gros jet épais comme le bras, sang noir, beau, allègre. Puis allégresse et jubilation quitteront la maison, les invités de la fête s'en vont en dansant, un tumulte, et fini les joyeux pâturages, l'étable chaude, le fourrage parfumé, tout fini, en trou vide, ténèbres, maintenant une autre image du monde arrive. Oh là, soudain un monsieur est apparu qui a acheté la maison, il perce une rue, meilleure conjoncture, il fera démolir. On apporte la grande cuvette, la pousse tout au bord, la bête puissant jette les pattes arrière en l'air. Le couteau lui rentre dans le cou près de la gorge, visiter les veines avec circonspection, ces veines-là ont des téguments forts, elles sont bien protégées. Et en voici une d'ouverte, une autre, le flot, noirceur très chaude, fumante, le sang jaillit rouge-noir sur le couteau, sur le bras du boucher, le sang en liesse, le sang très chaud, les invités arrivent, voici la transsubstantiation, ton sang est venu du soleil, le soleil s'est dissimulé dans ton corps et maintenant il en ressort. La bête respire énormément, c'est comme une suffocation, une irritation énorme, elle râle, agonise. Oui, la charpente s'effondre. Comme les flancs se soulèvent si atrocement, un homme vient en aide à la bête. Quand une pierre veut tomber, donne-lui un coup. Un homme bondit sur la bête, sur le corps, des deux jambes, debout dessus, fait ressort, appuie sur les entrailles, monte et descend, le sang doit sortir plus vite, sortir tout à fait. Et le râle s'amplifie, c'est un halètement très prolongé, la bête anhèle, légers coups défensifs des pattes arrière. Les pattes s'agitent doucement. La vie sort désormais dans un râle, le souffle faiblit. L'arrière-train pivote lourdement, bascule. C'est la terre, la pesanteur. L'homme en haut remonte. L'autre en bas écorche déjà la peau du cou.

Pâturages joyeux, étable chaude, feutrée.

La boucherie bien éclairée. L'éclairage du magasin et celui de la vitrine doivent être harmonisés. Il ne saurait être question ici que de lumière principalement directe ou à demi indirecte. De façon générale les luminaires sont préférables pour une lumière principalement directe, car ce sont avant tout le comptoir et le billot qui doivent être bien éclairés. La lumière du jour artificielle produite par l'utilisation de filtres bleus, ne saurait être prise en compte dans le cas précis des boucheries, puisque aussi bien les marchandises de boucherie réclament continûment un éclairage qui ne dénature en rien la couleur de la viande.

Pieds farcis. Après que les pieds ont été soigneusement nettoyés, on les fend dans le sens de la longueur, de sorte que la couenne tienne encore ensemble, puis on les referme et on ficèle le tout.

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